# petit traité des grandes vertus
# la fidélité
Le couple au sens où je prends le mot, suppose et l'amour et la durée. Il suppose donc la fidélité, puisque l'amour ne dure qu'à la condition de prolonger la passion (trop brève pour faire un couple, tout juste bonne à le défaire !) par mémoire et volonté. C'est ce que signifie le mariage sans doute, et que le divorce vient interrompre. Encore que.
Comment te jurerais-je de t'aimer toujours ou de n'aimer personne d'autre ? Qui peut prédire de ses sentiments ? Et à quoi bon, quand il n'y a plus d'amour, en maintenir la fiction, les charges ou les exigences ? Mais ce n'est pas une raison pour renier ou désavouer ce qui fut. Qu'avons nous besoin, pour aimer le présent, de trahir le passé ? Je te promets, non de t'aimer toujours, mais de rester fidèle toujours à cet amour que nous vivons.
L'amour infidèle, ce n'est pas l'amour libre, c'est l'amour oublieux, l'amour renégat, l'amour qui oublie ou déteste ce qu'il a aimé et qui dès lors s'oublie ou se déteste lui-même. Mais est-ce encore de l'amour ?
Aime-moi tant que tu le désires, mon amour, mais ne nous oublie pas.
# l'humilité
L'humilité est une vertue humble : elle doute même d'être une vertue ! Qui se vanterait de la sienne montrerait simplement qu'il en manque.
Cela toutefois ne prouve rien, d'aucune vertu l'on ne doit se vanter, ni même être fier, et c'est ce qu'enseigne l'humilité. ELle rend les vertus discrètes, comme inapercues d'elle-mêmes, presque déniées. Inconscience ? C'est plutôt une conscience extrême des limites de toute vertu, et de soi. Cette discrétion est la marque - elle même discrète - d'une lucidité sans faille et d'une exigence sans faiblesses. L'humilité n'est pas le mépris de soi, ou c'est un mépris sans méprise. Elle n'est pas ignorance de ce qu'on est mais plutôt connaissance de ce qu'on est pas. C'est sa limite puisqu'elle porte sur un néant.
# la simplicité
L'humilité manque parfois de simplicité, par ce redoublement de soi à soi qu'elle suppose. Se juger, c'est se prendre bien au sérieux. Le simple ne se pose pas tant de questions sur lui-même. Parce qu'il s'accepte comme il est ? C'est déjà trop dire. Il ne s'accepte ni se refuse. Il ne s'interroge pas, ne se contemple pas, ne se considère pas. Il ne se loue ni se méprise. Il est ce qu'il est, simplement, sans détour, sans recherche, ou plutôt - car être lui paraÓt un trop grand mot pour une si petite existence - il fait ce qu'il fait, comme chacun d'entre nous, mais ne voit pas là matière à discours, à commentaires, ni même à réflexion. Il est comme les oiseaux de nos forêts, léger et même silencieux toujours, même qand il chante, même quand il se pose. Le réel suffit au réel, et cette simplificité est le réel même. Ainsi, le simple, c'est un individu réel, réduit à sa plus simple expression. Le chant ? Le chant parfois, le silence plus souvent, la vie toujours. Le simple vit comme il respire, sans plus d'effort ni de gloire, sans plus d'effet ni de honte. La simplicité n'est pas une vertu, qui s'ajouterait à l'existence. C'est l'existence même, en tant que rien ne s'y ajoute. Aussi est elle la plus légère des vertus, la plus transparente et la plus rare. C'est le contraire de la littérature, c'est la vie sans phrases et sans mensonges, sans exagérations, sans grandiloquence. C'est la vie insignifiante, et c'est la vraie.
# les sciences
Pourquoi ne pas se contenter, alors, des sciences ? Parce qu'on ne peut, elles ne répondent à aucune des questions essentielles que nous nous posons, ni même à celles qu'elles nous posent. La question 'Faut il faire des mathématiques ?' n'est pas susceptible d'une réponse mathématique. La question 'Les sciences sont elles vraies ?' n'est pas susceptible d'une réponse scientifique. Et cela ne va pas davantage, cela va de soi, les questions portant sur le sens de la vie, de l'existence de Dieu ou la valeur de nos valeur... Or, comment y renoncer ? Il s'agit de penser aussi loin qu'on ne sait. La métaphysique est la vérité de la philosophie, même en épistémologie, même en philosphie morale ou politique. Tout se tient, et nous tient. Une philosophie est un ensemble d'opinions raisonnables, le chose est plus difficiles, et plus nécéssaire, qu'on ne le croit.
extraits du Petit traité des grandes vertus, par André Compte Sponville
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