# formuler une demande

# formuler une demande concrète, réaliste, positive et négociable

Même si, comme nous l'avons vu, certains de nos besoins ont davantage besoin d'être reconnus que satisfaits, nous avons quand même souvent à coeur d'en satisfaire un bon nombre. Nous contenter de la conscience de nos besoins sans savoir qu’en faire concrètement risquerait de nous laisser dans un monde virtuel peu satisfaisant, une sorte de quête insatiable : « J’ai besoin d'amour, j'ai besoin de reconnaissance, de compréhension mais je ne mets jamais rien en place moi-même y arriver. J'attends "qu'on" prenne soin de moi. »

# Incarner le besoin ici et maintenant

Voici donc les avantages qui résultent de la formulation d’une demande ou de la proposition d'une action concrète, réaliste, positive et négociable.

# 1. La demande est concrète

Nous pouvons planer toute notre vie au milieu des idées, des idéaux, de concepts magnifiques ; ce faisant, nous risquons de ne jamais rencontrer la réalité, de ne jamais nous incarner complètement ici et maintenant. Je me suis personnellement pas mal entretenu dans ce complexe de Peter Pan que je résumerai ainsi : « La réalité à travers le carreau de la fenêtre d'accord, mais j'ai peur d'entrer vraiment dedans, peur de l'échec, peur de l'imperfection, peur de l'ombre et de l’incomplétude. Je remets les choix à plus tard. » Engagé sur un parcours apparemment bien classique, j'ai ainsi poursuivi le rêve que tout est possible. Et j'ai voulu longtemps garder toutes les portes ouvertes devant moi sans en passer aucune, avant de prendre conscience que si, dans une vie, beaucoup de choses extrêmement variées sont effectivement possibles l'une après l'autre, il n'existe qu’ « un seul possible » à la fois.

C'est la demande qui donne « un possible » au besoin et lui évite ainsi de rester derrière la fenêtre. Elle lui donne l’occasion de s'incarner. Dans le travail d'accompagnement, j’observe que la difficulté de passer à la demande ou à l'action concrète est fortement liée à la difficulté de se donner à soi-même le droit d'exister et de décider d'une incarnation véritable indépendamment des attentes et du regard de l'autre.

Je pense ainsi à un homme d'une soixantaine d'années qui vient en entretien, préoccupé par un partage d'héritage avec ses deux sœurs, lesquelles lui ont fait une proposition qui ne lui convient pas. Il clarifie assez vite son besoin d'équité, mais quand je lui demande comment, « concrètement » il verrait l'équité dans la répartition de cet héritage, il ne parvient pas à proposer de répartition pratique des biens. Il revient constamment a sa revendication et à son besoin : « Il faut que ce soit juste, ce qu'on me propose, c'est pas juste. » Mais il ne formule aucune proposition par rapport à laquelle ses sœurs pourraient se situer, de sorte que celles-ci l'avaient finalement pris en grippe, ce qui ne facilitait pas l'entente !

Définir, c’est finir, c’est accepter la finitude.

Il était au fond vraiment difficile pour lui de définir concrètement sa demande parce que définir c'est finir, c'est accepter la finitude. Cette phrase l'a frappé au cœur : l'idée de donner une limite concrète, une mesure précise à sa quête d'équité le révoltait. Pour diverses raisons que nous avons étudiées, son besoin de justice n'était jamais satisfait. Il comparait toujours et voyait dans toute proposition une limite inacceptable à sa quête insatiable. En fait, derrière le besoin d'équité, il y avait des besoins de reconnaissance, d'identité et d'estime qui demeuraient insatisfaits. En travaillant sur le caractère concret et parfois pratiquo-pratique de la demande, nous travaillons à notre intégration dans la réalité en acceptant notre finitude.

# 2. La demande est réaliste

Elle tient compte de la réalité telle qu'elle est et non telle que je crains qu'elle soit ni telle que je rêve qu'elle soit. Les gens qui ressentent un besoin, par exemple de changement, visent souvent un objectif de changement tellement radical qu'ils se donnent la meilleure raison de ne jamais changer : « C'est trop dur, c'est trop lourd, ça implique trop de choses, ça concerne trop de gens ou d'aspects de ma vie, donc je ne change rien ! » .

Chercher d’abord la plus petite chose que nous puissions faire, le changement suivra.

C'est pourquoi il est précieux d'inviter l'autre ou de s'inviter soi à se dire : « Quelle est la plus petite chose ou la chose la plus agréable, même petite, que je puisse dire ou faire et qui aille dans le sens du changement que je désire, dans le sens du besoin que j'ai identifié. »

Non pas la plus grande chose, mais la plus petite, non pas le plus pénible, mais le plus agréable. Cette question surprend souvent les personnes, parce que notre esprit, habitué aux performances et entraîné aux résultats, cherche l'épreuve à laquelle se mesurer, cherche le challenge d'un enjeu de taille. Comme si la réalité n'était pas faite de toutes petites choses tissées avec d'autres toutes petites choses et d'autres toutes petites choses encore qui peuvent faire ensemble de très grandes choses.

Cet aspect modeste et réaliste de la demande suscite souvent des doutes à une époque régie par l'automatisme des déclics : téléphones, télévisions, électroménagers, voitures, ordinateurs. Nous changeons de spectacle, de programme, d'interlocuteur et de vitesse par un seul déclic ! Accepter l'humilité et la lenteur du processus vivant est si peu habituel que beaucoup trouvent cette attitude peu naturelle. Et pourtant !

Une femme fort éprouvée par le deuil de son mari vient me trouver pour un travail d'accompagnement. Après plusieurs entretiens, elle identifie que le sentiment principal qui l'habite est la peur et que celle-ci indique son besoin de se faire confiance à elle-même. Elle est surprise de cette constatation parce que, dit-elle : « Je n'ai jamais pensé à me faire confiance, ces mots n'existaient pas dans ma tête. J'ai toujours fait confiance à mes parents puis à mon mari, à ma famille. Maintenant je crois que j'en ressens vraiment le besoin, mais je ne pourrai jamais y arriver à mon âge. » Je l'invite à une action concrète : écarter l’autosabotage que produisent les croyances négatives et les considérations mentales ombrageuses du style « Je n'y arriverai jamais à mon âge » , et simplement formuler son besoin à haute voix pour lui donner le droit d'exister. Elle répète en hésitant : « J'ai besoin de me faire confiance, j'ai besoin de croire que je peux me faire confiance. » Je laisse un silence s'écouler puis je lui dis : « Je vous propose de simplement vous laisser habiter par ce besoin durant les jours qui viennent, sans vous préoccuper du résultat. Portez simplement votre attention sur ce besoin et ne cherchez pas de solution. Laissez sa résonance s'installer dans votre coeur. »

À la séance suivante, huit jours plus tard, elle commence comme ceci : « Je vous suis reconnaissante de m'avoir invitée à me laisser simplement habiter par le besoin de me faire confiance. C'est fou comme l'impression que je n'avais rien « à faire » ou rien à chercher, juste à laisser venir ce qui devait être en moi m'a permis de sentir la confiance arriver. C'est encore très fragile en moi, mais quelque chose est déjà différent et cela me rassure de pouvoir envisager de compter davantage sur moi-même. »

Quelques semaines plus tard, elle commençait vraiment à réorganiser sa vie très concrètement. Dans ce cas, le principe de réalité était élémentaire : accueillir d'abord la seule notion du besoin. Les solutions viendront plus tard.

# 3. La demande est positive

Imaginez que vous êtes en train d'écouter de la musique pendant que votre conjoint travaille dans son bureau. Il vient vous dire : « Je travaille, veux-tu couper ta musique s'il te plaît ? » Dans quel état vous sentez-vous ? Maintenant, s'il vient vous dire : « J'ai besoin de calme pour mon travail pendant encore une heure. Serais-tu d'accord pour écouter ta musique dans une heure ou continuer de l'écouter dans une autre pièce de la maison ? » Dans quel état vous sentez-vous ?

Quand je fais l'exercice en groupe, j'entends souvent « Je préfère la seconde version. » Pourquoi ? « Parce que je n'aime pas être empêché de faire ce que je fais. Dans la seconde version je reçois une proposition pour continuer ce que je fais soit plus tard, soit ailleurs, et c'est plus agréable que de devoir cesser. » Effectivement, nous n'aimons pas devoir cesser de..., sans doute avons-nous suffisamment entendu de « Veux-tu cesser de bouger comme cela, de faire bruit, de jouer, etc. » Nous n'aimons pas être empêchés de faire, nous aimons mieux être invités à faire.

C'est subtil, direz-vous. Sans doute et c'est bien là, pour moi, la subtile essence de la communication que je vous propose : éviter dans le langage et dans la conscience ce qui divise, compare, sépare, freine, enferme, résiste, coince, embarrasse ; et favoriser ce qui ouvre, conjugue, relie, permet, invite, stimule, facilite. Remarquez, j'ai encore de vieux réflexes : le titre de mon livre interpelle, « cessez d'être gentil » , avant d'inviter à être vrai.

# 4. La demande est négociable

Cela n'aurait servi à rien de soigner l'observation des faits de sorte que l'autre ne perçoive aucun jugement ou reproche (voir l'exemple mère-enfant cité précédemment : « Quand je vois tes chaussures dans l'escalier et ton cartable sur le canapé... » ), ni de soigner l'expression du sentiment pour éviter toute interprétation ou jugement ( « Je me sens triste et découragée... » ), ni de vérifier l'identification adéquate du besoin sans y impliquer l'autre ( « J'ai besoin d'ordre et de respect pour le travail que je fais... » ), si au stade de la demande je tombe dans l'exigence sans appel : « Et maintenant va ranger tout cela tout de suite ! »

# Créer l'espace de la rencontre

C'est le caractère négociable de la demande qui crée l'espace de la rencontre ; Au fond, cela se passe un peu comme ceci : si nous ne formulons pas de demande, c'est comme si nous ne nous donnions pas le droit d'exister. Nous restons dans un besoin virtuel, désincarné. Nous ne prenons pas vraiment notre place dans la relation. D'autre part, si nous ne formulons que des ordres ou des exigences, c'est comme si l'autre n'avait pas le droit d'exister.

La faculté de formuler une demande négociable et donc de créer vraiment l'espace de la rencontre est directement fonction de notre sécurité et de notre force intérieure, de notre confiance en nous-mêmes. Elle suppose que nous sachions intimement que nous pouvons accueillir le désaccord de l'autre sans craindre de devoir démissionner de nous-mêmes. Je dis « intimement » parce que souvent nous savons cela intellectuellement mais nous ne l'avons pas intégré dans la connaissance émotionnelle que nous avons de nous-mêmes. Nous restons alors très fragiles par rapport à la différence et donc peu enclins à l'accueillir vraiment jusqu'au bout.

En pratiquant la méthode, nous acquérons, par l'expérience intime, la confiance que ce n'est pas parce que nous saisissons l'occasion d'exprimer notre besoin et notre demande que l'autre va renoncer à son besoin pour autant. Nous acquérons également la confiance que ce n'est pas parce que nous laissons l'occasion à l'autre d'exprimer son besoin, peut-être différent du nôtre, que nous devrons renoncer au nôtre pour satisfaire le sien. Nous savons que nous allons tenter de chercher ensemble une solution qui satisfasse les deux parties, ou accepter au moins que nous sommes d'accord sur le fait que nous ne sommes pas d'accord.

Nous savons aussi et surtout que notre profond bien-être ne viendra pas tant de la solution que de la qualité de la rencontre que la recherche de cette solution aura permise.

extrait de "Cessez d'être gentil, soyez vrai" de Thomas D'Ansembourg

chapitre 2 : prendre conscience de ce que nous vivons vraiment

partie 5 : formuler une demande concrète, réaliste, positive et négociable

dernière mise à jour : 4/7/2020, 11:11:30 PM